Smith Hermann Ahouandjinou
Banouto: Vous avez annoncé, il y a quelques semaines, la parution prochaine d’un livre. « La rage de servir ». Pourquoi ce titre? Pourquoi maintenant?
Smith Hermann Ahouandjinou : Ce titre est né d’un feu intérieur, d’une urgence d’expression. La rage de servir, c’est cette énergie viscérale que l’on ressent lorsqu’on veut changer les choses sans compromission. J’ai voulu écrire ce livre à ce moment précis parce que j’ai senti que le silence devenait une forme de complicité. Il fallait parler, écrire, témoigner.
Quel est le principal message que véhicule ce livre?
Le message central, c’est que l’engagement ne doit jamais être une quête de privilèges, mais une mission au service du bien commun. À travers ce livre, j’invite chaque lecteur à interroger sa part de responsabilité, son rapport au pouvoir, à la justice et à la dignité humaine.
Vous avez écrit que le « livre est né d’un feu intérieur, celui que l’on ressent quand on refuse l’injustice ». Pensez-vous qu’il y a encore de l’injustice dans notre pays?
L’injustice prend plusieurs formes. Certaines sont visibles, d’autres plus insidieuses. Ce que je dis dans le livre, c’est qu’on ne doit jamais s’habituer à l’injustice, quelle que soit sa forme. Être patriote, c’est aussi être capable de dire quand ça ne va pas, même quand on est du côté du pouvoir.
Qu’est ce que d’autres taisent ou disent tout bas que vous avez jugé nécessaire de mettre au grand jour à travers « La rage de servir »?
Je parle de ces compromis que certains acceptent par peur de perdre leurs avantages. De cette lassitude qui fait que l’on finit par détourner le regard. J’ai voulu écrire ce que l’on n’ose plus dire à haute voix : qu’il est encore possible d’être loyal sans être aveugle, d’être engagé sans être soumis.
Parlant du style d’écriture, vous avez dit que vous avez écrit comme quand on manque d’air, comme quand on crie quand le coeur déborde. Dites nous qu’est-ce qui vous fait manquer d’air et crier comme quand le coeur déborde?
C’est le sentiment d’impuissance face à certaines réalités. Quand des jeunes brillants abandonnent leurs rêves faute d’opportunités. Quand on voit le cynisme gagner du terrain. Quand la politique devient un jeu de calculs et non un espace d’idéaux. Ce sont ces moments-là qui me coupent le souffle.
Je crie intérieurement quand je vois l’indifférence institutionnalisée, le fatalisme ambiant, la résignation collective. Quand le silence devient la norme, quand ceux qui devraient parler se taisent, et que ceux qui ont le pouvoir d’agir préfèrent calculer. Je crie quand les valeurs s’effacent derrière les intérêts, quand la loyauté devient suspecte, et que l’honnêteté est perçue comme une faiblesse.
J’écris comme on respire après une longue apnée. Comme un acte de survie. Parce que parfois, quand on ne trouve plus d’espace pour agir, il faut écrire. Pour témoigner, pour dénoncer, pour éveiller. La rage de servir, c’est ma manière de hurler sans faire peur, d’écrire sans accuser, de questionner sans juger. C’est un cri du cœur, un cri d’alerte, un cri d’amour aussi, pour ce pays et cette jeunesse que je ne cesserai jamais de porter dans mes combats.
Vous avez indiqué avoir parlé, dans votre livre, des forces, des blessures, de ses silences trop longs et de ses élans trop rares. Pouvez-nous donner quelques une de ses forces, blessures, silences trop long et élans trop rares dont vous parlez?
Nos forces, ce sont nos talents inexploités, nos jeunes leaders, nos patriotes discrets. Les blessures : ce sont les trahisons, les promesses non tenues, les exclusions injustes. Les silences trop longs : ceux de ceux qui savent mais se taisent. Et les élans trop rares : ces gestes courageux que l’on attend souvent en vain.
« J’ai parlé du pouvoir, de sa noblesse quand il sert, de sa laideur quand il trahit », avez vous écrit. Que comprendre de cette phrase? Avez-vous des exemples à partager avec nous à ce sujet?
Le pouvoir est noble quand il protège les faibles, quand il construit, quand il rassemble. Il devient laid quand il exclut, quand il écrase, quand il trahit la confiance. Je n’ai pas besoin de nommer, chacun peut reconnaître ces deux visages du pouvoir dans son vécu personnel ou collectif.
Vous avez été cadre au ministère des Sports en qualité de directeur de la jeunesse et de la vie associative. Mais en mai 2024, vous avez décidé de déposer le tablier pour convenance personnelle. On est quelques fois tenté de lié ce départ à une guerre de succession au sein de la mouvance. Est-ce le cas?
Ma démission répondait à un besoin personnel de cohérence. Après plusieurs années de service, j’ai ressenti le besoin de me recentrer. Bien sûr, chacun peut faire ses analyses, mais pour moi, cette décision s’inscrivait dans une logique intérieure, pas dans une logique de clan ou de stratégie politique.
On vous sait proche de l’ex-ministre Oswald Homeky parti du gouvernement pour avoir jugé que l’homme d’affaires Olivier Boko était le meilleur candidat à la succession de Patrice Talon. Est-ce que votre départ était lié au sien?
J’ai toujours eu du respect pour l’ex-ministre Oswald Homeky. Mais ma décision m’est propre. Dans un parcours politique, il arrive que certains chemins se croisent, que des visions s’alignent. Mais chaque choix que je fais est dicté par mes convictions profondes, pas par des suivismes.
Vous êtes membre du parti Union progressiste le renouveau. Est-ce qu’en 2026, vous serez candidat? Si oui, à quelle élection?
Je suis avant tout un citoyen engagé. Je suis à l’écoute, je consulte, je réfléchis. Si l’appel du terrain, des jeunes, des femmes, des oubliés est assez fort, je répondrai présent. Mais ce n’est pas une décision que je prends à la légère. Si je me présente, ce sera pour servir, pas pour exister.
Qui sera le meilleur candidat de la mouvance à la présidentielle 2026, selon vous?
Je pense qu’en réalité, la vraie question ce n’est pas qui est le meilleur candidat, mais quel profil mérite aujourd’hui la confiance du peuple béninois. Le Bénin n’a pas besoin d’un homme providentiel, mais d’un homme ou d’une femme profondément ancré dans la réalité de notre temps, capable de porter à la fois la rigueur et l’humanité, la vision et la compassion.
En 2026, nous ne devons pas chercher un nouveau Talon, ni ressusciter l’ombre d’un Yayi. Le Bénin n’a pas besoin de choisir entre les deux.
Qui faut-il alors au Bénin selon vous?
Ce qu’il lui faut, c’est un héritier du meilleur de chacun d’eux. Le Bénin a besoin de la tête de Talon et du cœur de Yayi.
Il nous faut l’intelligence stratégique, la capacité de transformation, le sens de l’efficacité et de l’organisation qui caractérisent le Président Patrice Talon.
Mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut aussi l’élan du cœur, la proximité avec les plus vulnérables, la chaleur humaine et l’attention aux oubliés que le Président Boni Yayi incarnait dans ses grandes heures.
Le meilleur candidat de la mouvance, ce sera donc celui ou celle qui saura conjuguer la rigueur au service, la puissance de la pensée à l’empathie de l’âme, l’autorité à l’écoute, la modernité à l’humilité. Un profil qui inspire confiance sans diviser, qui rassemble sans dominer, qui gouverne sans écraser.
Ce que j’espère, c’est que les Béninois auront, cette fois encore, l’intelligence collective de dépasser les logiques de clan, de loyauté aveugle ou d’intérêt personnel, pour écouter cette voix plus profonde : celle du destin du pays. Ce destin qui exige qu’on ne se contente plus de survivre… mais qu’on apprenne enfin à vivre ensemble, avec justice, dignité et grandeur.
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