opinion

Affaire Boko et Homeky: double maladresse institutionnelle de la Cour constitutionnelle

Affaire Boko et Homeky: double maladresse institutionnelle de la Cour constitutionnelle

Le 30 janvier 2025, la Cour constitutionnelle a rendu une décision pour affirmer qu’un procès pouvait avoir lieu dans certaines conditions sans que l’accusé ne soit assisté d’un avocat. Le 25 mars 2025, le Président de la Cour constitutionnelle a co-signé une déclaration pour s’indigner du complot exposé et sanctionné dans le procès récent de Olivier Boko, Rock Nieri et Oswald Homeky, en félicitant les forces de l’ordre pour leur vigilance.

Le 30 janvier 2025, la Cour constitutionnelle a rendu une décision pour affirmer qu’un procès pouvait avoir lieu dans certaines conditions sans que l’accusé ne soit assisté d’un avocat. Le 25 mars 2025, le Président de la Cour constitutionnelle a co-signé une déclaration pour s’indigner du complot exposé et sanctionné dans le procès récent de Olivier Boko, Rock Nieri et Oswald Homeky, en félicitant les forces de l’ordre pour leur vigilance.

Sètondji Roland Adjovi, l'auteur de cette opinion est juriste spécialisé en droit international

Sètondji Roland Adjovi, l'auteur de cette opinion est juriste spécialisé en droit international

De notre humble avis de citoyen averti et intéressé par l’État de droit construit sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire, il s’agit d’une double maladresse en raison des quatre éléments suivants : (i) les circonstances de la décision, (ii) la substance de la décision, (iii) les conséquences de la décision, (iv) et la nature politique de la déclaration conjointe.

 

Sur le premier point, deux circonstances ont de l’importance. D’abord, la requête qui saisit la Cour émane d’un certain Monsieur Yelinhan Rustico mais c’est une dame qui répond à ce nom et au numéro de téléphone inscrit sur la requête alors qu’elle a nié à l’audience avoir jamais soumis une telle requête.

 

En conséquence, la Cour s’est autosaisie pour statuer sur la requête. Mais cet incident aurait mérité d’être mis au clair pour éviter toute suspicion légitime concernant le véritable auteur de la requête. Si cette suspicion demeure sans être levée, elle peut affecter la crédibilité de la décision qui en découlerait, ainsi que celle de la Cour constitutionnelle.

 

 

Ensuite, et toujours sur ce premier point, la Cour n’a décidé qu’à quatre même si le quorum requis est de cinq. L’article 17(1) de la loi organique sur la Cour constitutionnelle prévoit certes qu’une décision puisse être prise avec moins de cinq membres en cas d’empêchement ou de force majeure « dûment constaté au procès-verbal ».

 

En l’espèce, la Cour fait état de « l’indisponibilité » de trois de ses membres sans plus de précision et il faut se demander si ce constat est suffisant. Et, de toutes les façons, il faut s’interroger sur cet empêchement, notamment dans le temps, et le besoin de rendre une décision dans l’urgence, sans attendre. 

 

Au-delà de ces deux circonstances, on peut s’étonner que la requête semble mettre en cause à la fois le bâtonnier et la chambre de jugement dans l’affaire susmentionnée de complot contre l’État (« Que le requérant en conclut que ni le président de la chambre de jugement, ni le Bâtonnier ne semblent avoir pris en compte le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et l’obligation qui pèse sur eux d’y concourir, violant ainsi le droit des accusés à un procès équitable »).

 

Pourtant, la Cour constitutionnelle n’entend que le bâtonnier sans expliquer pourquoi, et il n’est dit nulle part qu’elle a pu recueillir des éléments de la CRIET, notamment les éventuelles correspondances qui ont pu être échangées avec le bâtonnier. La transparence requiert que, si la Cour constitutionnelle a des éléments sur ces aspects, qu’elle en fasse état dans sa décision. 

 

Sur le second point, la Cour tire une double conclusion : d’une part, un procès pénal peut se tenir sans la présence d’un avocat aux côtés de l’accusé pourvu que cette absence ne soit ni le fait de la chambre de jugement ni celui du parquet ; d’autre part, le bâtonnier aurait violé le droit des accusés dans l’affaire Boko, Nieri et Homeky en ne s’exécutant pas pour commettre d’office des avocats. Or cette vue pose deux problèmes distincts.

 

La première conclusion ne tient pas compte du fait que l’instruction de la chambre de jugement pour que le bâtonnier commette des avocats pourrait ne pas être sans équivoque. Mais les éléments de cette instruction ne sont pas dans le domaine public pour une appréciation dans cette analyse.

 

Toutefois, selon l’information disponible dans la presse et l’argument du bâtonnier (« Qu’il relève, au subsidiaire et au fond, que ledit recours est sans objet, en raison de sa précocité, la commission d’office d’avocats par le Bâtonnier devant intervenir après l’expiration du délai fixé au 27 janvier 2025 par la décision avant dire droit de la CRIET »), la chambre avait donné un délai supplémentaire aux accusés pour choisir leurs avocats.

 

Et elle aurait demandé au bâtonnier de prendre ses responsabilités si les accusés échouaient. Logiquement, à la reprise du procès le 28 janvier 2025, il aurait donc fallu constater que les accusés ne se sont pas exécutés pour que l’instruction au bâtonnier prenne effet. 

 

De plus, la Cour constitutionnelle dit que, même si le bâtonnier échouait, la chambre de jugement devait commettre d’office des avocats et que c’est seulement si ceux-ci ne se présentaient pas au procès qu’elle pourrait poursuivre sans avocat.

 

Or, cela ne s’est pas fait à notre connaissance et ce pan de la décision du juge constitutionnel aurait pu constituer un moyen d’appel contre le verdict. Il faut donc s’interroger sur l’information qui était à la disposition de la Cour constitutionnelle au moment où elle concluait en ces termes et, surtout, de la suffisance de cette information.

 

Plus important encore, sur la seconde conclusion, la Cour a choisi d’ignorer que l’État, l’employeur des magistrats (aussi bien ceux du siège que du parquet), est la cause de l’absence des avocats commis d’office. En effet, les avocats, depuis plus d’un an, boycottent tous les procès pénaux parce que l’État ne paie pas les commissions d’office (« Que toutefois, il est acquis au dossier que depuis plus d’un (01) an, les avocats ont déclenché un mouvement de suspension de leur participation aux sessions criminelles organisées par les juridictions sur toute l’étendue du territoire national »).

 

La Cour mentionne le boycott mais ne parle pas de ce qui le motive. Or, il est clair que l’absence des avocats (commis d’office) peut être considérée comme le fait de l’État et il est incompréhensible d’occulter ce fait. Pourquoi cette posture de la Cour constitutionnelle pour constater une violation de droits par le bâtonnier alors même que la faillite de l’État pèse dans la balance ?

 

Sur le troisième point, cette décision de la Cour constitutionnelle nous semble avoir ouvert les vannes pour les sessions criminelles des juridictions qui ont commencé quelques semaines plus tard, notamment à Cotonou avec l’affaire Dagnivo qui défraie la chronique judiciaire depuis lors. La faute de l’État non appréciée, encore moins reconnue, n’a pourtant pas été corrigée. C’est un risque majeur pour les décisions qui seront rendues en l’absence de toute assistance légale des accusés, et ce risque va bien au-delà du procès autour du complot contre l’autorité de l’État.

 

Enfin, et sur le quatrième et dernier point, la Cour constitutionnelle est une haute institution qui participe du pouvoir judiciaire. A ce titre, elle doit préserver son indépendance. Or, la co-signature de la déclaration conjointe des présidents d’institutions de la République par le président de la Cour constitutionnelle jette un discrédit sur l’indépendance de la Cour qui fonde la foi du peuple béninois dans ses décisions.

 

Et la Cour constitutionnelle n’était pas la seule instance judiciaire à participer à cette déclaration politique. En fait, aucune haute juridiction ne peut participer à des déclarations politiques de cette nature sans enfreindre le fondement même de son mandat au service du peuple, et hors de la dynamique politique et/ou partisane. 

 

Pourquoi une telle double maladresse ? Nous avons besoin d’une Cour constitutionnelle qui ne s’installe pas dans l’arène politique temporelle, du régime en place, mais dans la sphère intemporelle pour ne s’exprimer que sur le droit positif et s’y limiter dans des conditions qui vont renforcer sa crédibilité. Elle va jouer un rôle important dans le processus électoral en cours.

 

Et pour le bien de tous, elle a une obligation de réserve qui constitue une protection de son indépendance. Elle est responsable devant le peuple, et ses membres sont responsables individuellement et collectivement. Il faut espérer qu’elle puisse asseoir son indépendance et renforcer sa crédibilité aux yeux de tous. Notre Bénin a besoin d’institutions fortes et stables pour son présent et son futur prospères. 

 

0 commentaire

0 commentaire