Le soleil a déjà fait sa course vers l’horizon ce samedi 3 août 2024, dernière journée des championnats nationaux d’athlétisme du Bénin. Au stade de l’amitié général Mathieu Kérékou de Cotonou, la finale du 800 m senior homme veut démarrer. Sur la ligne de départ, on retrouve Odette Sawékoua, la seule femme. La raison, elle n’a pas de concurrente au niveau des dames.
La veille, l’athlète avait déjà remporté le 1500 m dame. La course lancée, elle sort plus vite que d’habitude du start-in bloc et est plus rapide. A l’arrivée, elle ne remporte pas la course, mais réalise un chrono de 2.09.14. En plus, elle n’a pas battu son record personnel.
Mais, son entraîneur est satisfait. « On ne savait pas si elle allait courir avec les garçons ou les filles en fonction des concurrentes. Mais l'idée était d'essayer de partir vite, plus vite que d'habitude pour voir justement où "elle allait craquer" pour nous donner des axes de travail pour la saison prochaine notamment la performance », a commenté Alexandre Gerber.
Pour l’expert en athlétisme, la performance de la jeune athlète est à louer, même si elle n’a pas remporté la course. « Elle est à une seconde de son record en fin de saison sportive, en fin de championnat avec le 1500 m dans les jambes hier. Donc la perf est très intéressante surtout avec la prise de risque qu'elle a fait en partant vite », poursuit son entraîneur, recruté par le ministère des Sports.
Sur le 1500, fait-il savoir, l’objectif était 4’25. « Elle est partie sur des bases pour faire 4.25. Donc elle a réussi. Tout s'était déroulé comme sur du papier à musique », s’est réjoui l’entraîneur national Sprint et haie de la Fédération béninoise d’athlétisme (FBA). Ce qui a permis à l’athlète de battre son record de 3 secondes avec un chrono 4.25.98 (contre 4.35.04).
Une rencontre au hasard
Née à Matéri dans le département de l’Atacora au nord-ouest du Bénin, Odette Sawékoua (24 ans) est une spécialiste du 800 m et du 1500 m qui commence à faire une entrée remarquée dans le monde de l'athlétisme, avec des performances en constante amélioration et un potentiel prometteur. Elle a découvert l'athlétisme lors de ses années scolaires, participant aux compétitions locales dans son village. Ce qui a commencé comme un passe-temps est rapidement devenu une passion pour celle qui faisait le 1500 m et 5 000 m, surtout en observant des athlètes comme Noélie Yarigo.
« J’ai commencé l’athlétisme par les petites courses au village au primaire. Ça m’a plu et j’ai décidé de m’y consacrer parce que je vois tout ce qui se passe avec la grande Noélie Yarigo. Elle m’a beaucoup motivé à continuer », confie l’athlète. Cette admiration s’est transformée en une véritable vocation lorsque, en 2017, elle a fait ses débuts sur la scène internationale à Ouagadougou. Sa performance de 2.20 au 800 m, réalisé lors de ce Tournoi de la solidarité avec des athlètes de haut niveau, a marqué le début d'une carrière prometteuse.
L'impact d'un entraînement rigoureux
Avec des records personnels de 2'11.75 au 800 m et 4'35.04 au 1500 m en fin de saison passée, Odette Sawékoua a démontré un potentiel considérable. Mais c'est au championnat ouest-africain (3 au 6 juin 2024 à Accra) qu'elle a vraiment brillé, établissant un nouveau record personnel de 2'08.15 au 800 m et de 4'25.98 au 1500 m.
Cette progression spectaculaire, avec une amélioration de 10 secondes sur 1500 m et de près de 3 secondes sur 800 m en un an, témoigne de son travail acharné et de sa détermination. « Si je ne dis pas une bêtise, Noélie Yarigo au même âge, n'était pas à ce niveau de performance », commente l'entraîneur.
« Odette était blessée quand je suis venu », apprend-il. Conséquence, de novembre 2023 à janvier 2024, elle n’a pas couru du tout, poursuit l’expert en athlétisme. « Quand je l'ai récupérée, on a fait par contre un gros volet sur la préparation physique notamment le développement de la force, le travail d'équilibre au niveau du pied, parce qu'elle avait un pied qui était relativement instable et donc tout ce travail de renforcement musculaire, de préparation physique lui a permis d'être beaucoup plus solide sur ses appuis, de mieux terminer ses fins de course, mais également de partir plus vite notamment dans le cadre du 800 m », détaille le technicien français, Alexandre Gerber.
L’entraîneur révèle que l’athlète avait aussi un gros défaut. « Elle faisait toujours toutes les séances à fond ». Selon lui, elle était incapable de varier ses allures de course, de gérer ses courses. « Depuis le mois de mars (2024), je dirais après les Jeux Africains où elle a été finaliste sur le 1500 m, il y a eu un déclic. Elle a commencé à réussir à respecter ses allures de course à l'entraînement, à être capable de savoir quand ça allait trop vite, à savoir quand ça allait un peu trop doucement ».
Odette Sawékoua, se félicite son entraîneur, « commence à créer ses repères personnels qui vont être très importants dans le cadre de son entraînement, mais également dans des courses de championnat pour le haut niveau si c'est des courses au train ou celles en peloton ».
Une mentalité de championne
Alexandre Gerber, l'entraîneur de Sawékoua, décrit le parcours de sa pouliche comme un exemple de persévérance et de résilience. Elsiane Adjinda, athlète et coéquipière de Sawékoua, met en avant les qualités mentales exceptionnelles de son amie et collègue. Elle peint Odette comme une personne extrêmement déterminée et disciplinée qui ne recule devant aucun effort pour atteindre ses objectifs.
Même en période de fatigue, elle donne le meilleur d'elle-même à l'entraînement. « Je dirai que Odette, c’est une fille très forte qui se donne vraiment à l’entraînement. A l’entraînement, quand le coach donne le programme, elle ne rechigne pas. Elle se donne à fond même si elle est fatiguée, elle va toujours au bout », affirme Elsiane Adjinda.
Elle admire la capacité de sa coéquipière à gérer le stress avant les compétitions et aussi sa préparation mentale, combinée à son engagement physique qui, selon elle, est un atout majeur dans son ascension vers le haut niveau. « C’est une fille exigeante. Même avec une qualification, Odette est mécontente si elle fait une mauvaise performance », relève-t-elle.
« C'est une grosse qualité un peu comme la grande sœur Noélie (Yarigo) qui est capable de se transcender quand elle est sur une ligne de départ », soutient l’entraîneur français en parlant du mental de Odette Sawékoua. Pour lui, « c'est une vraie compétence qu'elle a naturellement et sur lequel on n'a pas beaucoup travaillé parce que ce n'était pas forcément l'axe prioritaire pour l'instant de développement de la performance pour elle ».
Des objectifs ambitieux et des défis à relever
Pour Odette Sawékoua, le chemin est encore semé d'embûches. Elle aspire atteindre les championnats du monde et à remporter des médailles. « Je veux aller très loin, aller aux championnats du monde et remporter aussi une médaille », ambitionne-t-elle. Mais la jeune athlète est consciente des défis que cela implique. « Il reste encore de nombreux paramètres d'optimisation de la performance sur lesquels on va pouvoir jouer dans le cadre de son accompagnement et de son suivi pour atteindre vraiment le haut niveau », souligne son entraîneur.
Et, pour la saison prochaine, les axes de travail seront, selon Alexandre Gerber, de continuer « le développement de la force qui est important sur des disciplines de demi-fond court comme le 800 m ». Il estime qu’avec l'évolution aussi du niveau sur le 1500 m, « la musculation devient très importante ». Donc, soutient-il, il va y avoir un travail à faire là-dessus. Pour l’entraîneur, il va y avoir un travail également de gain de souplesse et de technique du sprinter.
« On l'a vu là sur le 800 m. Quand elle commence un peu à décrocher, on voit que sa foulée se rétrécit. Elle n’est plus capable d'allonger donc c'est aussi un travail technique de course type sprinter qu'on va devoir mettre en place sur la période de préparation », précise le technicien de la FBA.
Pour bien accompagner l’athlète, Gerber trouve qu’il faut lui permettre de prendre part à des stages à l'étranger, des camps d'entraînement à l'étranger sur des périodes de 2 à 3 mois à différents endroits. Il préconise aussi des stages en altitude dans des pays en Afrique comme au Kenya, mais également en montagnes en Europe.
Un des défis à relever est de trouver les moyens nécessaires pour l’athlète. Selon le technicien, il est important d’essayer de faire des partenariats avec des clubs français. « Il faut qu'on arrive aussi à trouver des sponsors parce que ça a un certain coût les billets d'avion, les camps, les stages. Quand on fait du logement en pension complète, c'est relativement cher donc il va falloir aussi qu'on arrive à développer un écosystème, une économie derrière pour pouvoir l'aider à financer ce type d'actions qui lui permettront de s'entraîner dans de bonnes conditions », relève l’entraîneur.
Achille Aïhou, Secrétaire général de la Fédération béninoise d'athlétisme, affirme que la fédération est déterminée à soutenir Odette Sawékoua dans sa quête de succès. « Si elle est à ce niveau, c’est que déjà quelque chose se fait. Et désormais, nous avons une direction technique nationale plus structurée avec des entraîneurs nationaux dont un spécialiste de demi-fond, fond et marche. Il doit désormais s’occuper de Odette de manière plus concrète », rassure-t-il.
Les mesures telles que l'appui financier, l'organisation de stages de préparation et la structuration d'un environnement favorable sont mises en place pour aider Sawékoua à atteindre ses objectifs, a confié le SG de la FBA. La fédération, apprend-il, prévoit également de renforcer le cadre médical, technique et administratif pour assurer une préparation adéquate de tous les athlètes béninois en vue des compétitions futures, y compris les Jeux olympiques de 2028.
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