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Bénin : pourquoi l’IVG reste un tabou malgré l’évolution de la législation

Bénin : pourquoi l’IVG reste un tabou malgré l’évolution de la législation

Au Bénin, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) continue d’être un sujet tabou, trois ans après l’adoption d’une loi favorable.  Quelles en sont les raisons ?

Au Bénin, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) continue d’être un sujet tabou, trois ans après l’adoption d’une loi favorable.  Quelles en sont les raisons ?

Célestine, vendeuse d’avocats à Aïbatin, quartier de Cotonou, est décédée à l’âge de 19 ans suite à des complications post-avortement. Son amie Anne pense que l'adolescente pourrait être encore en vie si elle n’avait pas voulu interrompre, en secret et de manière non sécurisée, une grossesse non planifiée. 

 

À en croire Anne qui a difficilement consenti à aborder le sujet, Célestine n’a pas parlé de sa grossesse ni de sa décision de l’interrompre à des personnes susceptibles de l’aider. « C’est quand, elle ne se sentait plus bien qu’on a découvert ce qu’elle avait fait », confie-t-elle d’une voix faible. 

 

Au Bénin, les questions liées à la sexualité notamment à l’interruption volontaire de grossesse sécurisée sont taboues. Et ce, malgré l’évolution de la législation sur la santé sexuelle et reproductive dans le pays. 

 

Depuis 2021, les députés ont voté la loi n°2021-12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive. Promulguée par le président Patrice Talon, la loi autorise l’interruption volontaire de grossesse sécurisée, à la demande de la femme enceinte, lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec de la femme et/ou de l’enfant à naître. 

 

L’initiative de la loi a été prise par le gouvernement. L’exécutif a justifié l’initiative par la volonté de soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées.

 

« Au Bénin, près de 200 femmes meurent chaque année des suites des complications de l’avortement », selon les chiffres rendus publics par le ministre de la Santé juste après le vote de la loi. 

 

L’adoption, la promulgation de la loi n°2021-12 du 20 décembre 2021 et la prise de décret d’application ont suscité une lueur d’espoir. Mais trois ans après, la question de l’IVG demeure un sens interdit dans de nombreuses communautés. Et de nombreuses femmes continuent de recourir à l’IVG non sécurisée a fait savoir Nafissate Hounkpatin, présidente de l’ONG Ilèwa, lors d’une conférence de presse en septembre 2024 à l’occasion du lancement de la campagne « Doxami ». Conséquence, a expliqué la sage-femme, le « carnage silencieux » des filles et des femmes se poursuit avec des « situations insoutenables ». 

 

Normes sociales, défaut d’informations…

 

Les raisons pour lesquelles l’interruption volontaire de grossesse reste un sujet tabou sont multiples selon plusieurs témoignages. Entre autres raisons, l’éducation des enfants à la maison souvent silencieuse sur les questions relatives à la sexualité.  

 

Brunelle âgée de 24 ans cherche dans ses souvenirs les plus lointains des traces d’une discussion sur les questions de sexualité avec ses parents, en vain. « Je n'ai jamais parlé du sexe avec mes parents, à plus forte raison de l'interruption volontaire de grossesse. Je ne sais pas quelle discussion je vais tenir avec mes parents jusqu'à ce qu'on aborde la question d'avortement. », confie-t-elle. 

 

Le défaut d’informations sur l’évolution de la loi contribue au maintien du tabou autour de l’IVG. Plusieurs femmes interviewées ont confié ne pas être au courant de l’adoption de la loi n°2021-12. 

 

Pas du jour au lendemain

 

Dans une étude réalisée dans le contexte d’avant le vote de la loi de décembre 2021 et publiée en ligne en mai 2024, la sociologue Deo-Gracias Vanessa Dossi Sekpon a montré comment chaque composante des normes sociales et religieuses influence la santé sexuelle et reproductive des adolescentes et jeunes, notamment le recours à l’interruption volontaire de grossesse, dans la plupart des cas à risque. 

 

L’étude de la chercheuse a notamment révélé que les jeunes femmes et adolescentes doivent jongler avec des normes contradictoires qui stigmatisent à la fois les grossesses précoces, entravent une éducation sexuelle adéquate, et condamnent fermement l’IVG. « Ces pressions normatives sont souvent le moteur de leur recours à l’IVG, généralement effectuée dans des conditions précaires », relevait-elle.

 

Interrogée dans le cadre de cet article, la sociologue ne veut pas trancher la question relative au changement ou non des normes suite au vote de la loi. « Il faut des études pour savoir si le changement de la loi a induit le changement des normes ou non », a-t-elle fait savoir. Elle a remarqué que les normes ne changent pas du jour au lendemain. « Un travail de changement de normes sociales prend du temps », a souligné Dr Deo-Gracias Vanessa Dossi Sekpon. 

 

Au terme de l’étude qu’elle a publiée, la sociologue avait suggéré qu’ « en plus de l’élargissement des conditions d’accès à l’avortement au Bénin en octobre 2021, il est impératif de mettre en œuvre des interventions axées sur la clarification des valeurs, la sensibilisation aux droits des adolescentes, la lutte contre les violences obstétricales et la stigmatisation sociale ». 

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